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Que fait la police ?

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Documentation des pratiques policières, et violences d'État.

Analyses et observations des logiques répressives et sécuritaires.

Libertés publiques et droits fondamentaux.

« Si tu leurs réponds, il y a outrage. Si tu résistes, il y a rébellion. Si tu prends la foule à témoin, il y a incitation à l’émeute. » Maurice Rajsfus, 2008

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Un habitant du Val-de-Marne a saisi l’IGPN et porté plainte en avril, après la « palpation de sécurité » pratiquée par un agent de la Brav-M à l’occasion d’un contrôle routier. Le parquet de Créteil et la préfecture de police se sont emparés de ces faits, qui ont causé de graves séquelles.

Abdel B., 41 ans, se décrit volontiers comme « la personne la plus basique au monde ». Né en France, marié à une professionnelle de santé, père de trois filles, il travaille dans les ressources humaines après avoir été chauffeur de bus à la RATP pendant treize ans. « J’ai un casier vierge et mes douze points de permis », précise-t-il, comme pour donner des gages de sa parfaite insertion sociale. 

Six mois après un contrôle de police qui a eu des conséquences très sérieuses sur sa santé, il est encore sidéré par ce qui lui est arrivé le 18 mars 2024, à Thiais (Val-de-Marne) et qui aurait pu concerner « n’importe qui ». Lors d’une palpation de sécurité, un agent de la Brav-M lui a « pincé très fortement » les parties génitales, causant des lésions très graves. Abdel B. espère « que le policier lise l’article » et comprenne les répercussions de son geste. 

Auprès de Mediapart comme dans sa plainte, déposée le 8 avril 2024 au commissariat de Choisy-le-Roi, Abdel B. retrace posément les faits. Ils ont conduit le parquet de Créteil à ouvrir une enquête pour violences par personne dépositaire de l’autorité publique, confiée en juillet au service de déontologie, de synthèse et d’évaluation (SDSE) de la préfecture de police de Paris.

De son côté, la préfecture de police se borne à confirmer que « plusieurs actes ont été effectués » dans le cadre d’une enquête administrative ouverte en parallèle de l’enquête judiciaire. 

Dans l’après-midi du 18 mars, Abdel B. conduit son scooter, à Thiais. Selon son récit, également consigné dans sa plainte, il revient de chez ses parents, s’est arrêté faire une course et s’apprête à aller chercher l’une de ses filles à l’école. Il croise la route de policiers à moto, qu’il identifie comme des membres de la Brav-M en raison de leur tenue, et les voit faire demi-tour. 

Anticipant un contrôle, il se gare avant même qu’ils ne lui fassent signe. Un agent « antillais aux yeux verts », qui lui semble être le chef d’équipe, demande à Abdel B. s’il sait pourquoi ils l’arrêtent. Oui, répond-il, parce qu’il a oublié de mettre ses gants, obligatoires depuis 2016. Il sait qu’il est en tort et ne montre « aucune opposition » au contrôle. Il décrit ensuite une longue palpation pratiquée par deux autres policiers, répartis de chaque côté de son scooter, dont il a l’interdiction de descendre. 

Le chef d’équipe lui précise « qu’il s’agit d’un modèle de scooter qui est régulièrement volé et qu’il ne sait pas [s’il est] une menace », se souvient Abdel B., étonné par cette palpation en binôme qui dure « plusieurs minutes ». « Je suis tombé sur des personnes tendues et suspicieuses mais je comprends que leur travail soit difficile », commente-t-il aujourd’hui. 

En théorie, la « palpation de sécurité » (réalisée par-dessus les vêtements) a pour seul objet de vérifier si la personne contrôlée est porteuse d’un objet dangereux. Laissée à l’appréciation des policiers, elle est facultative mais « en voie de généralisation », rappelait la Cour des comptes fin 2023.

Alors que les policiers le fouillent jusqu’à l’intérieur de ses poches, Abdel B. sent « un très fort pincement » sur ses parties génitales « par le gardien de la paix du côté gauche ». Pris de panique, il demande au chef d’équipe « de [le] laisser descendre ». « Il m’a répondu qu’il pensait à sa sécurité avant tout. » 

Abdel B. se rappelle avoir ensuite subi « une deuxième fouille debout », avant qu’un quatrième gardien de la paix lui dresse une contravention à 68 euros pour non-port des gants (45 euros si elle est payée dans les quinze jours). Il signe. « En partant, le fonctionnaire de police aux yeux verts m’a demandé si j’étais choqué et j’ai répondu que oui », précise encore le conducteur du scooter. Puis les policiers s’en vont.

###En arrêt de travail depuis six mois 

Après leur départ, « la douleur devenait de plus en plus intense », raconte Abdel B., qui va tout de même récupérer sa fille à l’école. La nuit suivante, il a si mal qu’il ne dort pas. Commence alors une longue série de consultations médicales, d’examens, de traitements anti-inflammatoires et antalgiques, de passages aux urgences. 

Les documents médicaux que Mediapart a pu consulter mentionnent un « traumatisme direct », à l’origine d’une « gêne urinaire importante ». Six mois plus tard, Abdel B. est toujours en arrêt de travail et suivi de près par un spécialiste en urologie. 

Alors qu’il était « hyper sportif », il a dû arrêter le vélo et la course et se retrouve « handicapé » par des douleurs permanentes. « Mentalement, je reste assez fort », poursuit Abdel B., qui reproche à ce policier d’avoir « détruit [sa] vie physique et même financière » puisqu’il doit assumer des dépenses médicales importantes. 

« J’aurais préféré qu’il me casse le nez », résume-t-il, en rappelant que le geste du policier pourrait aussi être qualifié « d’agression sexuelle ». Cet agent a-t-il commis une erreur professionnelle ou voulu lui faire mal, l’humilier, affirmer son pouvoir ? Abdel B. refuse toute « interprétation subjective ». Quelles que soient ses motivations, « ce n’était pas une manière de faire »

###Un signalement à l’IGPN et une plainte 

« Les neuf premiers jours, j’étais au lit et dans des hôpitaux », raconte Abdel B., qui a signalé les faits sur la plateforme de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) le 31 mars. Trois jours plus tard, l’IGPN lui répond que son signalement « a retenu [son] attention » et a été transmis à la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police, « qui appréciera les suites à donner ».   

Au cours du mois d’avril, Abdel B. et la DOPC ont échangé des mails que Mediapart a pu consulter. Le quadragénaire tente de contribuer à l’identification des policiers qui l’ont contrôlé. Sur YouTube, il a retrouvé l’agent « antillais aux yeux verts », qu’il désigne comme « l’initiateur » du contrôle.

Lors d’une manifestation contre la réforme des retraites à Paris, au printemps 2023, ce policier de la Brav-M est filmé par le député insoumis Ugo Bernalicis, auquel il donne verbalement son numéro d’identification RIO. « Je suis catégorique sur sa voix et son visage », écrit Abdel B.. Quelques semaines plus tard, il transmet également à la DOPC l’avis de contravention qu’il vient de recevoir, sur lequel figure un autre numéro RIO, celui de l’agent verbalisateur.   

En parallèle, Abdel B. a déposé plainte le 8 avril au commissariat de Choisy-le-Roi, après une première tentative infructueuse deux jours plus tôt – les agents lui auraient expliqué qu’ils n’étaient pas habilités à la prendre, ce qui est faux. Il a fallu plus de trois mois au parquet de Créteil pour désigner un service enquêteur, réduisant à néant les chances de saisir des images de vidéosurveillance, conservées un mois maximum. 

Depuis, Abdel B. n’a eu aucune nouvelle de la préfecture de police ou de la justice. La décision de rendre publique son histoire, qui touche à l’intime, n’a pas été facile. « J’espère que ça n’arrivera plus à personne. Il y a eu Théo, il y a eu Nahel. Je voudrais que ce policier soit d’abord neutralisé dans son travail, et si la justice veut faire quelque chose, tant mieux, ça donnera confiance aux Français. Dans le cas contraire, je serai du côté des gens qui disent que notre système ne fonctionne pas. »


Abdel B. a accepté de témoigner auprès de Mediapart et de fournir des documents attestant des conséquences de sa blessure, mais n’a pas souhaité que tous les détails médicaux figurent dans cet article. 

Contactés le mercredi 11 septembre, le parquet de Créteil a répondu vendredi 13 septembre et la préfecture de police mardi 17 septembre. 

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