Klaq

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Ces derniers temps, recenser les exploits en informatique se réduisait à narrer les derniers progrès de l’intelligence artificielle. Le 2 juillet, l’annonce de la démonstration d’une conjecture vieille de plus de trente ans est venue bouleverser cette litanie. En plus, l’exploit, raconté par le média américain Quanta Magazine, n’est issu ni du monde académique ni de l’industrie. Il a été accompli par une équipe internationale constituée d’une vingtaine de personnes, collaborant à distance, en partie « amateurs », et réunie par le jeune Français Tristan Stérin.

Cofondateur de l’entreprise de logiciels PRGM, il a lancé, en mars 2022, le défi de résoudre un problème qui en a épuisé plus d’un : savoir quel programme informatique, parmi une famille de plus de 16 000 milliards, s’arrête pour donner sa réponse, éliminant de fait les programmes « inutiles » qui continuent ad vitam aeternam. Et surtout trouver la perle rare, celui qui stoppe après le plus grand nombre d’étapes. Le problème a été baptisé « compétition du castor affairé » par le mathématicien hongrois Tibor Rado, en 1962, en hommage aux vertus de l’animal.

« C’est comme la chasse au Pokémon ! » plaisante Tristan Stérin. Quel intérêt ? Ce « jeu », qui illustre comment la complexité jaillit de la simplicité, touche à de profondes questions en mathématiques et en informatique.

Le ruban de Turing Pour saisir l’enjeu, des rappels s’imposent. En 1936, le Britannique Alan Turing démontre que tout programme, depuis le simple « afficher “bonjour” » aux plus complexes, comme les énormes ChatGPT et consorts, peut se représenter « simplement » par une machine qui porte son nom : un ruban infini, marqué de 0 ou de 1 lorsqu’il passe sous une tête de lecture/écriture. La tête ne peut que changer les symboles 0 ou 1, faire avancer ou reculer le ruban d’une case et changer d’état. Cet « état », qui contient ces trois instructions (écrire 0 ou 1, avancer/reculer, changer d’état), est le logiciel de la machine. Il peut en avoir un, deux ou plus… Une machine à un état peut générer 25 programmes différents. De une à deux, 6 561, et de une à cinq, plus de 16 000 milliards.

Avec ce concept, Turing montre qu’il est impossible de trouver un programme qui dise si un autre programme va s’arrêter ou non. Le problème du castor affairé (« busy beaver » en anglais ou BB pour les intimes) présente une autre impossibilité : calculer le plus grand programme « utile », celui qui fait bouger le plus le ruban avant de s’arrêter et de donner la réponse. Tibor Rado a démontré que cette fonction n’était pas calculable : il est impossible de trouver toutes ces valeurs par une suite d’opérations.

Tibor Rado observe que, pour une machine à deux états, la fonction BB vaut six − un programme, dont le ruban a bougé de plus de six cases, est en fait un programme qui ne s’arrête jamais − et que BB (3), pour une machine à trois états, vaut 21. Dans les années 1970, Allen Brady montre que BB (4) vaut 107. En 1989, dans la quête de BB (5), Heiner Marxen et Jürgen Buntrock trouvent un « Pokemon » qui s’épuise au bout de 47 176 870 étapes. Et l’équipe de Tristan Stérin vient seulement de démontrer qu’il n’y a pas plus fort comme castor.

« Quand on demandait à George Mallory [un alpiniste britannique] pourquoi il voulait escalader l’Everest, il répondait parce que la montagne est là. C’est pareil ici. Ces nombres BB existent. A nous de les trouver », raconte Pascal Michel, enseignant émérite de l’université Paris Cité, spécialiste du sujet mais non membre de l’équipe. « BB (5) est un défi au savoir humain », complète Tristan Stérin.

Sortes de « Pokemons » inarrêtables L’aventure n’a pas été simple. Impossible de faire tourner 16 000 milliards de programmes pour voir lesquels s’arrêtent. Les « trappeurs » ont donc mis au point des « filets », appelés « décideurs », des programmes pour identifier des comportements de « Pokémons » inarrêtables. Il y a ceux qui bégaient et se répètent. Ceux qui comptent sans fin ânonnant sans faiblir des chiffres… Une demi-douzaine de « décideurs » ont permis de réduire le nombre de suspects. Mais il est resté au moins deux programmes très retors. L’un se met en boucle toutes les 8 468 569 863 opérations, mais seulement à partir d’un nombre gigantesque d’étapes (plus d’un million de milliards de milliards). Trompeur.

En avril, le travail était bien avancé, lorsque, sur le forum de discussion du groupe, un contributeur anonyme informe qu’il a traduit tout le travail réalisé jusqu’alors dans un langage informatique particulier, Coq. Et qu’il a même été plus loin, en achevant la démonstration rigoureuse avec ce langage. « L’apothéose finale ! » souligne Tristan Stérin. Coq est en effet l’un des outils phares pour démontrer qu’un programme n’a pas de bogues. Il est utilisé pour certifier la sécurité de logiciels critique. Après une vérification auprès de spécialistes de cette méthode, l’annonce que BB (5) est bien égal à 47 176 870 est faite. « Si la démonstration n’avait pas utilisé d’outils d’assistants de preuve, comme Coq, la communauté n’aurait pas eu confiance aussi vite dans le résultat, estime Yannick Forster, chercheur à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique et l’un des “vérificateurs”. En retour, ce travail donne une grande visibilité à Coq. » « J’ai été étonné par l’efficacité de cette recherche “massivement” parallèle. Les contributions étaient de grande qualité. Chaque mois il y en avait de nouvelles. Sans les autres, chacun n’aurait pas pu avancer », apprécie Tristan Stérin.

Et BB (6) ? Pas sûr que ce nouvel Everest soit accessible. Parmi les près de 60 millions de milliards de programmes à étudier, il y a des « monstres », baptisé cryptides. Prouver que ces castors ne s’arrêteront jamais de courir serait aussi dur que démontrer des conjectures mathématiques qui résistent, comme celle dite « de Collatz », une série d’entiers qui retombent toujours sur « 1 », quel que soit le nombre de départs. « Plutôt que m’attaquer à ce problème, je préfère me concentrer sur l’article scientifique qui expliquera à tous notre démonstration, et fournir des outils de travail collaboratif », prévoit Tristan Stérin, en castor avisé

[–] Klaq@jlai.lu 2 points 3 months ago (1 children)

Nos agriculteurs et éleveurs sont majoritairement payés à la subvention. La mondialisation en a fait des fonctionnaires pauvres, que ce soit les céréaliers avec la PAC, les éleveurs avec la Prime Montagne, c'est la réalité.

[–] Klaq@jlai.lu 2 points 3 months ago

Bonne nouvelle.

[–] Klaq@jlai.lu 4 points 3 months ago (2 children)

Salut !

Bonjour aux deux gus qui se sont arrêtés à 4h du matin dans la rue sous ma fenêtre pour discuter bien fort, je suis sûr que c'était l'endroit approprié

Ce genre de truc, ça réveille des pulsions moyen-ageuses à base d'huile bouillante.

[–] Klaq@jlai.lu 1 points 3 months ago* (last edited 3 months ago)

Où l'on apprend :

  • Que le coefficient de Gini c'est intéressant
  • Que la France sans redistribution aurait des inégalités comme le Brésil ou la Colombie
  • Que notre système de redistribution et de protection sociale est précieux
  • Que l'inégalité mondiale décroît mais qu'au sein des pays les dynamiques sont différentes (apparition classe moyenne en Asie,. fragilisation des classes moyennes occidentales)
  • Que penser les 1% les plus riches est pertinent, mais qu'il faut aussi analyser à l'intérieur des 99%,
  • Que la question des inégalités est consultantielle à la question migratoire
[–] Klaq@jlai.lu 3 points 3 months ago* (last edited 3 months ago)

On a la mémoire courte, le PS est le parti qui a fait monter Macron, c'est le parti qui s'est desolidarisé de Hamon, un parti de notables qui ne visent que leur propre carrière, des gens qui ne representent qu'eux-mêmes et n'ont bien souvent jamais rien fait autre chose de la politique. Des jeunes qui ont monté via l'UNEF, puis assistant parlementaire, puis élus parachutés quand c'était pas de l'administration parisienne.

Aujourd'hui ce sont ces mêmes personnes qui rejettent les nouvelles propositions de renouvellement de la politique à gauche. On est globalement aveugle de ces éléments, à part quelques rares médias, les médias généralistes (j'intègre Libération dedans qui joue un manège étrange depuis les européenes) font une présentation pseudo-neutre des enjeux à gauche là où le foutage de gueule et les tractations sont dégueulasses.

Je pige carrément l'écoeurement de Tondelier, on assiste à un énième épisode qui solidifie l'extrême droite, pendant qu'ils se battent pour leurs places, la flamme gagne en puissance.

[–] Klaq@jlai.lu 2 points 3 months ago (2 children)

Bof, on vaut pas mieux. Sinon y aurait déjà manif contre le PS.

[–] Klaq@jlai.lu 3 points 3 months ago

Hâte de voir le film Eat the night, les retours média ont l'air cool.

Sinon vu Animalia, petit chef d'oeuvre. Ça fait du bien de voir un film qui se déroule au Maghreb et ressort pas les poncifs orientalisant de la sensualité etc.

[–] Klaq@jlai.lu 1 points 3 months ago

Ouais généralement quand ça touche les rêves faut marquer une pause.

[–] Klaq@jlai.lu 3 points 3 months ago* (last edited 3 months ago)

Nan c'est un morceau de musique qui tourne de plus en plus avec des mèmes derrière. Y'a eu un remix avec un accent rebeu (yaniss emix) qui rend le morceau encore plus foutraque.

[–] Klaq@jlai.lu 4 points 3 months ago* (last edited 3 months ago) (1 children)

Merci d'être respectueux, le ton que tu emploies ne donne pas envie de poursuivre l'échange.

Je représente pas ce collectif, comme je l'ai déjà écrit je cautionne pas trop ce type de démarche. Ensuite j'ai déjà donné des exemples de comité et consultations avec des modalités d'action et de propositions visant à enrichir la démocratie. L'exemple que tu donnes est donc inopportun.

Enfin, le procès en utopisme semble être une manière peu utile et enviable de juger un problème.

[–] Klaq@jlai.lu 3 points 3 months ago (3 children)

C'est justement l'intérêt des assemblées constituantes de les définir. Ta manière de raisonner par du principe qu'il y aurait au préalable des choses à sauver. Or le but est de rendre sauvable et d'améliorer la gouvernance. Des gardes fous, ça peut être la possibilité de contre pouvoir, l'indépendance de certains par rapport à d'autres (genre indépendance de la justice, des médias etc), ces éléments sont tous à discuter dans une hypothèse commune de meilleure société avec des choix collectifs à élaborer mais aussi de déterminer la possibilité de révoquer ces choix.

L'idée d'expertise est une blague, une assemblée d'experts ce n'est pas une démocratie, c'est une technocratie, le rêve positiviste d'un Auguste Comte par exemple.

[–] Klaq@jlai.lu 3 points 3 months ago (6 children)

Et finalement "plus juste" ça ne veut rien dire et une constituante peut très bien finir par pondre une monarchie absolue. Quand on jete des dés on ne choisit pas à l'avance sur quel numéro ils ont le droit de tomber.

Y'a pas mal d'expériences intéressantes avec le CESE, les consultations citoyennes et aussi les comités citoyens aussi. Enfin ça fourmille d'expériences plus ou moins heureuses sur lesquelles se baser. Ensuite il y a évidemment des gardes fous à mettre en place.

Tes dés, tu ne les jettes pas dans les chiottes, il peuvent aussi ne pas sentir la merde quand tu les ramasses.

Mais sinon à titre perso, j'ai une crainte animale de personnes appréciant la tabula rasa sans même questionner les outils à disposition aujdh.

 

Il y a quelque chose d’émouvant chez Lidia Cruz, cheveux châtain frisés, institutrice quinquagénaire pleine d’énergie au sourire désarmant. Son tee-shirt vert dit «Guanarteme, en risque d’extinction». Le slogan est auréolé du dessin d’une sorte de surhomme barbu à la longue chevelure : un certain Tenesor Semidán, alias Fernando Guanarteme, dernier roi indigène des Canaries, mort en 1496 peu avant la colonisation de l’archipel par les Espagnols. Guanarteme, c’est aussi le quartier populaire où elle vit depuis un demi-siècle, au numéro 17 de la rue Luchana, une maison modeste à l’ancienne, avec sa mère et ses deux filles. A une encablure de là, elle désigne deux édifices flambant neufs de 12 et 17 étages, et un chantier gigantesque qui a coupé la rue en deux pour y édifier un complexe hôtelier. Les pelleteuses y bataillent contre des remontées d’eau du sous-sol.

«Vous croyez qu’on aurait été consultés pour ces folies démesurées ? C’était un quartier tranquille, d’ouvriers, avec ses garages, ses ateliers et sa fabrique de tabac. Et aujourd’hui ces monstres de béton, et le bruit, et les camions, et la fatigue nerveuse. Dans ce nouveau chantier, le 35m² y est annoncé à au moins 900 euros. Qui peut s’offrir cela ici ? interroge-t-elle. Personne. Les gens partent vers la périphérie insalubre, les jeunes en premier. Le tissu social est mort, je ne reconnais plus personne. Moi, une Canarienne de génération en génération ! Spéculateurs, constructeurs, politiques, ils ont réussi à faire que je me sente comme ça, mes filles Xiomara et Idaira aussi. Ou bien on arrête cela, ou je ne sais pas quoi vous dire…»

Son sourire s’éteint, puis brille de nouveau lorsqu’elle évoque la mobilisation du 20 avril. Celle du «Trop, c’est trop». Des dizaines de milliers de Canariens répandus dans tout Las Palmas – la capitale de l’île de Grande Canarie –, plus de 200 000 dans tout l’archipel (soit 10 % de la population), pour pousser une clameur contre la massification du tourisme. «Les Canaries s’épuisent», «Mon immeuble n’est pas un hôtel», «Ici des gens vivent», «Ce n’est pas du tourisme, c’est une colonisation», «Et nous, où allons-nous partir ?» Les slogans visent tous les problèmes : le logement de plus en plus cher, les espaces naturels envahis, les infrastructures qui craquent, les ressources naturelles qui s’épuisent…

«Cette mobilisation est historique, elle sonne le réveil des consciences longtemps amorphes. Les gens n’en peuvent plus car tout est désormais rentabilisable, au plus offrant. Comme s’il fallait se prosterner devant le dieu Tourisme», lâche Enrique Reina, croisé place d’Espagne où de grandes figures de pierre représentent les activités primaires de l’archipel. Le jeune homme au bouc brun, membre du collectif «Taneckra» ( «indépendance» en langue berbère) revendique un orgueil local et dénonce une sensation d’étouffement. La situation de ce professeur d’histoire au chômage résume bien la schizophrénie de cette région espagnole perdue dans l’océan Atlantique. Dans sa demeure familiale vivent son père magasinier, sa mère malade d’un cancer et en arrêt maladie, et un frère accompagnateur de bus scolaires. «Chaque mois, tous ensemble, notre revenu atteint à peine les 1 000 euros. Comment on fait alors qu’un 30m² coûte 1 300 euros, effet de l’invasion touristique et de la gentrification ?» Haute saison permanente

En Espagne, deuxième destination touristique du monde derrière la France mais devant la Chine ou les Etats-Unis (85 millions de visiteurs en 2023, au moins 90 millions prévus cette année), cette massification fait des dégâts dans plusieurs territoires sensibles : Barcelone, Malaga, Madrid, îles Baléares… Mais nulle part autant que dans l’archipel canarien, aux ressources très limitées. Ici, le déséquilibre est vertigineux : 16,2 millions de touristes l’an dernier pour 2,2 millions d’habitants. Et la haute saison permanente, en raison du climat africain et ses alizés bienfaiteurs, attire Européens l’hiver et péninsulaires l’été. Véritable poule aux œufs d’or, le tourisme pèse 35,5 % du PIB régional, 40 % de l’emploi et 30 % des recettes fiscales. Sur la seule île de Grande Canarie, il a rapporté 22 milliards d’euros en 2023, en hausse de 12 % en un an.

Mais le Canarien ordinaire, lui, ne s’y retrouve pas, avec des salaires parmi les plus bas du pays (entre 900 et 1 200 euros en moyenne) et 34 % de la population en risque d’exclusion. Benayga, 30 ans, une des organisatrices de la manifestation monstre du 20 avril, y voit une forme de continuité historique. «Mes parents, oncles, grands-pères et arrière-grands-pères, tous ont travaillé comme employés sans aucun droit pour des patrons, ou bien ils ont émigré au Venezuela, ou en Espagne continentale. Nous les jeunes, aujourd’hui, on doit choisir entre émigrer ou se contenter de jobs sans qualification et mal payés dans un hôtel ou un restaurant. On n’a pas cessé de porter des plateaux pour les puissants. On n’a pas cessé d’être des esclaves. Va-t-on rompre avec cette fatalité coloniale ? C’est ça qui en est jeu aujourd’hui», assène cette infirmière.

De l’avis général, le surtourisme aiguise principalement le drame du logement et de l’espace disponible. A Grande Canarie, île dont la moitié du territoire, notamment les espaces protégés et inscrits au Patrimoine mondial, est inconstructible, la densité – 548 habitants au km² – dépasse celle du Japon. Dans ce contexte déjà surchargé, chaque nouvelle vague de touristes – ou, plus récemment, de «digital nomads» venus télétravailler au soleil – accentue les ravages sur le marché résidentiel. «Il y a un effondrement général, avec des dizaines de projets hôteliers et touristiques en cours», dénonce le documentariste Felipe Ravina.

Si la crise du tourisme explose aujourd’hui, c’est précisément parce que les logements à destination des vacanciers se multiplient comme des petits pains, de manière visiblement incontrôlée. «Dans l’archipel, on est passé de 5 000 à 54 000 logements de ce type en quelques années seulement», pointe Eugenio Reyes, de l’organisation Ecologistes en action. Depuis fin 2022, leur nombre a augmenté de près de 40 %, selon les chiffres du gouvernement régional. A tel point que les Canaries comptent désormais davantage de lits dans des appartements touristiques (plus de 261 000) que dans les hôtels (environ 256 000). «Le tourisme a 100 ans aux Canaries et il n’y avait jamais eu, avant, de problème majeur, complète Eugenio Reyes. Le conflit a surgi avec l’irruption de fonds spéculatifs qui transforment ou construisent des milliers de logements de 20 à 30 m². Lesquels, vu leur superficie et leur prix, sont uniquement destinés aux touristes, et pas aux résidents. Il faut absolument mettre des limites.»

Poser des limites : le diagnostic est désormais largement partagé. «Continuer à mesurer le succès du tourisme en termes quantitatifs est une irresponsabilité», lance José Luis Zorelda, d’Exceltur, l’association des 30 plus grandes entreprises du secteur. Même Jorge Marichal, le tout-puissant président d’Ashotel, qui regroupe l’essentiel des logements touristiques, reconnaît qu’il faut y mettre un frein. «En plus, c’est se tirer une balle dans le pied, estime un hôtelier de la longue plage de Las Canteras, à Las Palmas. Si les concentrations de visiteurs sont telles que les Canariens n’ont plus droit de cité, dites-moi quel est l’intérêt de venir ici, sans gastronomie, sans artisanat, sans art de vivre local ?» Une liste à laquelle le documentariste Felipe Ravina ajoute la préservation du patrimoine naturel, lui aussi sous pression. «Il est incompréhensible que les touristes ne dépensent pas 1 euro pour la biodiversité, si fragile ici, et sa conversation», déplore-t-il. Sans diversification, «la mort assurée»

Les autorités politiques semblent, elles aussi, avoir pris conscience du péril que constitue le sentiment généralisé de mal-être et de colère. Le gouvernement régional, gouverné par la droite, prépare ainsi un projet de loi pour limiter les usages touristiques. «La difficulté, c’est que ce type d’appartements s’infiltre partout, parfois en marge de la légalité, se défend le ministre adjoint au Tourisme, José Manuel Sanabria. Les mairies doivent exercer ce rôle de contrôle. Or, à Grande Canarie, il n’y a que deux communes qui appliquent des restrictions.»

Dans le quartier colonial de Las Palmas, où trône le palais qui héberge l’organe de gouvernement de l’île, son président, le «cabildo» Antonio Morales, du parti régionaliste de gauche Nuevas Canarias, ne botte pas en touche face au «problème crucial» posé par le surtourisme et ses conséquences sociales. «Ça fait vingt ans que l’exécutif régional n’a pas construit de logements sociaux. Si on ne régule pas le secteur, on va vers le pire. Par ailleurs, et nous avons commencé à le faire à Grande Canarie avec l’audiovisuel, le numérique ou l’aquaculture, il faut absolument diversifier l’économie. Mettre toutes ses billes dans le même panier touristique, c’est la mort assurée.»

Sortir de la monoculture touristique, si rentable que l’archipel y a longtemps lié son sort et sa prospérité, n’est toutefois pas chose aisée. D’autant que parfois, la loi s’en mêle, comme dans les «zones touristiques» établies dans les meilleurs lieux, le long des plus belles plages de l’archipel. Comme à la pointe sud de Grande Canarie, où les dunes de Maspalomas et la Playa del Inglès ressemblent à un gigantesque et luxueux complexe hôtelier muni de parcs aquatiques et de casinos. Tout le continent européen prospère semble y être réuni, et on peine à y détecter un Canarien qui ne soit pas serveur ou réceptionniste.

Depuis 2013, une loi oblige tous les propriétaires locaux d’un appartement situé dans cette vaste zone à le louer à un visiteur, via un «exploitant touristique». A l’ombre d’une palmeraie de Bahia Feliz, Maribe Doreste, qui préside un collectif de Canariens affectés par cette loi, détaille dans une colère froide : «On nous oblige à louer pour une misère à des touristes via des sociétés allemandes ou norvégiennes. Et depuis l’an dernier, on reçoit des amendes de 2 300 euros si on ne loue pas nos résidences secondaires voire, dans certains cas comme le mien, notre résidence principale !»

Dans le nord-ouest de l’île, dans la jolie localité de Galdar, bien plus authentique, Victor Suarez, membre d’un collectif qui lutte contre une centrale électrique géante, exprime son désenchantement : «Pendant longtemps, on nous disait «Soyez aimables avec les touristes», et on n’a rien contre eux ! Mais sur mon île, je ne suis plus chez moi. Un logement touristique m’a viré de mon appart de la Playa del Agujero. Et quand je vais au Roque Nublo, l’un des plus grands rochers du monde situé au centre de Grande Canarie, c’est le Machu Picchu…»

 

« L’ami » français de Benyamin Nétanyahou a perdu son fauteuil. Après une décennie à l’Assemblée nationale, Meyer Habib (apparenté LR) n’est plus député. Celui qui fut l’un des membres les plus clivants de l’Hémicycle, où il défendit sans relâche la politique de la droite israélienne et de son chef, le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, qu’il fréquente depuis trois décennies, s’est incliné le 7 juillet dans la 8e circonscription des Français de l’étranger, face à une candidate Renaissance, Caroline Yadan, victorieuse avec 52,7 % des voix.

Meyer Habib, le député qui en faisait trop Arrivé en tête au premier tour, M. Habib a pâti d’une mobilisation importante dans cette circonscription qui comprend huit pays : Israël, l’Italie, Malte, Saint-Marin, le Vatican, Chypre, la Grèce et la Turquie. La participation s’élève à 24,3 % au second tour, un chiffre qui peut sembler dérisoire au vu de la moyenne nationale. Mais avec plus de 36 000 votants, il est deux fois plus important qu’à la législative partielle de 2023, convoquée après l’invalidation de l’élection de M. Habib pour des abus durant la campagne électorale de l’année précédente.

M. Habib a obtenu la majorité des suffrages en Israël le 7 juillet. Mais les voix décomptées ailleurs, notamment en Italie, lui coûtent son siège. Mme Yadan a aussi bénéficié d’un important report des voix de gauche, à l’appel de la candidate du Nouveau Front Populaire, Yaël Lerer, défaite au premier tour.

Une proximité avec Eric Ciotti

Dans une vidéo enregistrée devant le mur des Lamentations, à Jérusalem, dimanche soir, M. Habib, fameux pour ses outrances, a accusé sa concurrente de s’être « alliée avec l’extrême gauche antisémite. » Mme Yadan a suggéré pour sa part que son rival avait bénéficié du soutien du Rassemblement National (RN), qui n’a pas présenté de candidat dans sa circonscription.

Durant la campagne, M. Habib s’était vanté de sa proximité avec Eric Ciotti et avait ménagé le RN. Interrogé lundi par la chaîne israélienne Kan, il a souligné que « Marine Le Pen a doublé ses sièges. Je ne suis pas en sa faveur, mais elle est moins pire que l’extrême gauche qui déteste Israël. Ils ont attiré les Arabes de France (…) qui ne savent même pas où se situent la Palestine et la Jordanie sur une carte ».

Après l’attaque terroriste perpétrée par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023, et le début de la guerre à Gaza, Meyer Habib avait qualifié la population de Gaza dans son ensemble de « cancer ». Il avait apporté dans l’Hémicycle un appui sans nuance à la contre-offensive du gouvernement israélien, qui a causé, à ce jour, la mort de plus de 38 000 Palestiniens selon les autorités de santé de Gaza. Durant la campagne, dans des vidéos enregistrées à ses côtés, M. Nétanyahou et le ministre de la défense, Yoav Gallant, lui avaient offert leur soutien.

Sa successeure, Mme Yadan, avocate de 55 ans, est entrée à l’Assemblée nationale en juin 2022, en tant que suppléante du ministre de la transformation et de la fonction publiques, Stanislas Guérini. Elle a également ferraillé avec des députés de gauche sur la question de l’antisémitisme, et a suggéré dans un tweet, accompagné d’un clin d’œil, la dissolution de La France insoumise. Elle a félicité lundi M. Habib « pour son courage ».

 

https://www.lemonde.fr/international/article/2024/07/08/au-japon-la-gouverneure-nationaliste-de-tokyo-se-reve-premiere-ministre_6247929_3210.html

Le tanuki (« raton laveur ») est un animal apprécié au Japon, où le folklore en a fait un maître de la métamorphose. Beaucoup de Japonais retrouvent ses talents dans Yuriko Koike, fervente nationaliste qui se rêve première ministre, après avoir été largement réélue, dimanche 7 juillet, avec 42,8 % des suffrages exprimés, pour un troisième mandat de gouverneure de Tokyo.

Baptisée « le raton laveur vert » – de la couleur de son « parti des citoyens en premier » –, cette ultranationaliste, âgée de 71 ans, a devancé plus d’une cinquantaine d’adversaires avec l’appui du Parti libéral démocrate (PLD, conservateur, au pouvoir). Son programme, nommé « Tokyo grandes réformes, 3.0 », s’appuyait sur trois piliers : « sécurité, diversité, smart city ». Elle a promis des mesures fortes pour l’environnement et les familles avec enfants, dans la lignée de ses efforts en faveur de la gratuité de la scolarité. De quoi séduire des Tokyoïtes inquiets du coût de la vie et du déclin démographique.

La gouverneure est notamment appréciée pour ses efforts en faveur des familles et de la préparation aux catastrophes dans une ville soumise à un fort risque sismique. Elle bénéficie d’une réelle stature internationale. « J’ai reçu le soutien inconditionnel des habitants de Tokyo qui, une fois de plus, m’ont demandé de promouvoir davantage de réformes et d’améliorer leurs conditions de vie », a déclaré Yuriko Koike, qui parfait ainsi son ancrage dans la capitale de 13,5 millions d’habitants.

Fait rare au Japon, la campagne a suscité un réel intérêt. Le taux de participation a atteint 60,6 %, contre 55 % en 2020. Elle a également été ponctuée d’incidents – huées, menaces – pendant les discours des principaux candidats, dont Mme Koike, et d’opérations d’affichage sauvage. « Je n’avais jamais vu ça », a regretté la gouverneure, ce qui ne l’a pas empêché de largement dominer ses adversaires. La première d’entre eux, Renho Murata, candidate soutenue par l’ensemble de l’opposition, misait sur un programme progressiste pour renverser la gouverneuse sortante.

Reproches.

Yuriko Koike est née en 1952 à Ashiya, dans le département de Hyogo (Ouest). Elle a étudié la sociologie à l’université Kwansei Gakuin avant d’intégrer l’université du Caire, un choix dicté par son père, négociant dans le domaine pétrolier et promoteur de liens solides avec les pays arabes. En Egypte, elle rencontre un étudiant japonais qu’elle épouse avant de divorcer quelques mois plus tard. Elle ne s’est jamais remariée.

Arabisante, même si des doutes planent sur la réalité de son diplôme cairote, Mme Koike a travaillé comme interprète, puis présentatrice, sur la chaîne privée TV Tokyo. Elle se lance en politique et est élue en 1992 pour la première fois à la chambre haute, avec l’appui du défunt Nouveau Parti du Japon.

Elle rejoint en 2002 le Parti libéral-démocrate (PLD), la quasi indéboulonnable formation au pouvoir au Japon. Ministre de l’environnement de 2003 à 2006, elle porte la populaire réforme des « Cool biz » et « Warm biz » qui incitent à adapter sa tenue aux saisons afin de limiter l’usage des climatiseurs l’été et du chauffage l’hiver. En 2007, elle devient la première femme à diriger le ministère de la défense, à la fin du premier mandat du très nationaliste Shinzo Abe – assassiné en 2022. En 2016, Mme Koike renonce au Parlement pour briguer le gouvernorat de Tokyo. Elle l’emporte, devenant la première femme à diriger la capitale japonaise. Elle est réélue en 2020.

Son action suscite toutefois des reproches, comme le non-respect de certains de ses engagements. Elle avait promu en 2016 les « douze zéro » : « zéro centrale nucléaire », « zéro gaspillage alimentaire » ou encore « zéro allergie au pollen ». Au final, résume l’écrivain Osamu Tekina dans un commentaire sans pitié : « Zéro réussite. Zéro réalisation. Zéro intelligence. Zéro responsabilité. Zéro pour toujours. Combien de fois nous, les humains, nous laisserons-nous berner par le vieux raton laveur ? »

Mme Koike se voit également critiquée pour son échec à faire de Tokyo un hub de la finance en Asie – une ambition affichée depuis 2017. Une partie de la population lui reproche le coût des Jeux olympiques de Tokyo de 2021, l’autorisation donnée au déménagement du marché aux poissons de Tsukiji ou au controversé projet de redéveloppement du quartier verdoyant de Jingu Gaien. Ses concepteurs, menés par le géant de la construction Mitsui, prévoient d’abattre des centaines d’arbres et de bâtir de nouvelles tours, une aréna et un nouveau stade de baseball.

Indéniable talent de communicante.

L’ancrage nationaliste de Yuriko Koike lui vaut son lot de polémiques. En 2023, Tokyo commémorait le centenaire du tremblement de terre qui fit 105 000 morts dans la capitale et sa région. La gouverneure a refusé de rendre hommage aux victimes coréennes des massacres commis par la police et la population dans les jours qui ont suivi le séisme. Elle s’est fréquemment rendue au très controversé sanctuaire Yasukuni, dédié à Tokyo aux soldats morts pour la patrie, y compris à certains criminels de guerre de la seconde guerre mondiale.

Son indéniable talent de communicante a permis de surmonter ces attaques. Il lui avait déjà servi en 2020 au début de la pandémie de Covid-19, quand le gouvernement semblait dépassé par la crise sanitaire. Sa gestion du virus, menée à travers des messages de bon sens délivrés quotidiennement sur YouTube, avait contribué à sa réélection pour un deuxième mandat à l’été 2020.

Son troisième succès à la tête d’une ville doté d’un budget à 14 000 milliards de yens (80 milliards d’euros) l’impose un peu plus dans un paysage politique nippon fragmenté, entre l’impopulaire premier ministre, Fumio Kishida, et une opposition peu audible. Forte de sa victoire, estime Hiroshi Shiratori, de l’université Hosei, Mme Koike pourrait « se lancer dans la course au poste de premier ministre ».

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